De la juste volonté de protéger les lanceurs d’alerte à la consécration discutable d’une nullité sans texte (Soc. 30 juin 2016, n°15-10.557).
La Cour de cassation, dans un arrêt du 30 juin 2016, porte un nouveau coup au principe selon lequel il n’y a « pas de nullité sans texte ».
Elle estime que le licenciement d’un lanceur d’alerte est nul, en se fondant non pas sur une disposition légale ou réglementaire expresse, mais sur l’article 10 paragraphe 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Conv. EDH.) qui consacre la liberté d’expression.
« Attendu qu’en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité »
Ø Jurisprudence antérieure
La Cour de cassation avait déjà consacré à plusieurs reprises la nullité des mesures prises en violation de la liberté d’expression des salariés.
Par un arrêt du 28 avril 1988 (RG n°87-41804), elle avait validé la nullité d’un licenciement consécutif à la publication d’une interview dans laquelle le salarié s’exprimait sur ses conditions de travail.
Elle se fondait alors sur la liberté d’expression : « le droit d’expression dans l’entreprise étant, en principe, dépourvu de sanction, il ne pouvait en être autrement hors de l’entreprise où il s’exerce, sauf abus, dans toute sa plénitude. »
Par un arrêt du 6 février 2013 (RG n°11-11740 à 11-11748), la Cour de cassation avait considéré que des licenciements intervenus juste après une action en justice des salariés concernés contre leur employeur constituaient un trouble manifestement illicite justifiant la compétence du juge des référés, dès lors que l’employeur n’était pas en mesure « d’établir que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice par les salariés de leur droit d’agir en justice ».
Ces arrêts avaient été rendus au visa de l’article 6 paragraphe 1 de la Conv. EDH, qui consacre le droit à un procès équitable.
Enfin, dans un arrêt du 29 octobre 2013 (RG n°12-22447), la Cour de cassation avait retenu que « le licenciement prononcé en raison du contenu d’une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d’un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur ».
Cet arrêt avait été rendu au visa des articles 6 et 10 de la Conv. EDH.
Ø Absence totale de fondement textuel prévoyant la nullité
Dans l’arrêt du 30 juin 2016, la nullité a été prononcée en l’absence de tout fondement textuel exprès.
L’article L. 1161-1 du Code du travail, qui prévoit la nullité des sanctions prises en raison de la dénonciation ou du témoignage de faits de corruption connu dans l’exercice des fonctions, n’était pas applicable car il ne concerne que les faits de corruption.
L’article L. 1132-3-3 du Code du travail, issu de la loi du 6 décembre 2013, qui prévoit la nullité des sanctions prises en raison de la dénonciation d’un délit ou d’un crime, n’était pas applicable à l’époque du licenciement.
L’article 10 paragraphe 1 de la Conv. EDH., visé par la Cour de cassation, consacre la liberté d’expression mais ne fait nulle mention d’une éventuelle nullité.
Ø Une dérogation explicite
La Cour de cassation a d’ailleurs expressément censuré la Cour d’appel qui avait écarté la nullité du licenciement en appliquant le principe « pas de nullité sans texte ».
Selon ses propres explications, la Cour de cassation raisonne en deux temps en se fondant :
- d’une part sur la jurisprudence de la Cour européenne, « qui considère que la sanction prise à l’encontre d’un salarié ayant dénoncé des actes illicites constatés sur le lieu de travail constitue une violation de sa liberté d’expression » (Cour EDH 18 octobre 2011 Sosinowska n°10247/09 ; Cour EDH 12 février 2008 Guja c/Moldavie no14277/04) ;
- et d’autre part sur sa propre jurisprudence (précitée) « qui admet la nullité du licenciement ou de toute mesure de rétorsion portant atteinte à une liberté fondamentale du salarié ».
Elle confirme donc explicitement la dérogation au principe « pas de nullité sans texte ».
Ø Portée de la dérogation au principe « pas de nullité sans texte »
Jusqu’à présent, cette dérogation était limitée aux sanctions prises en violation de la liberté d’expression.
L’arrêt du 30 juin 2016 semble avoir une portée beaucoup plus générale, notamment parce que la note explicative qui l’accompagne précise que la Cour « admet la nullité du licenciement ou de toute mesure de rétorsion portant atteinte à une liberté fondamentale du salarié […] pour la première fois ».
La Haute Cour semble vouloir étendre sa jurisprudence en créant un principe d’application générale concernant toutes les violations des libertés fondamentales.
Une telle extension nous paraitrait dangereuse car extrêmement large – surtout si l’ensemble des normes internationales sont inclues sans distinction – et source d’une grande instabilité juridique s’agissant de la validité des sanctions disciplinaires.
Néanmoins, on peut légitimement tempérer cette interprétation, en pensant que cette dérogation pourrait être justifié par les faits de l’espèce et en particulier par le statut de lanceur d’alerte du salarié licencié.
En effet, tant le droit international que les dispositions prévues par le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dit projet de loi « Sapin II »), actuellement en débat au Sénat, protègent les lanceurs d’alerte et prévoient la nullité des sanctions disciplinaires prises consécutivement à une alerte.
Outre que, la nullité du licenciement pourrait aujourd’hui être fondée sur l’article L. 1132-3-3 du Code, entré en vigueur depuis.
Au demeurant, cela met en lumière la multiplicité des dispositions relatives aux dénonciations et témoignages du salarié et la difficulté de les articuler.
Le message que la Cour de cassation a voulu envoyer dans le contexte des discussions sur le projet de loi Sapin II est clair. Mais la réaction du législateur et du juge à cette question d’actualité peut sembler manquer de recul et laisser augurer les plus grandes difficultés dans la mise en œuvre et l’articulation de ces dispositifs.
Cet article a été rédigé par Camille de Kermel pour Studio avocats.